Cimetière

Le Champ rouge

Comme en de très nombreuses communes, le cimetière communal entourait l'église - c'est actuellement l'espace gazonné qui permet de faire le tour du bâtiment. On peut s'étonner qu'un espace si peu grand ait pu servir aux inhumations d'une population parfois plus nombreuse qu'actuellement et pendant plusieurs siècles. Il faut savoir que l'achat de concessions temporaires ou perpétuelles était inexistant - les personnages importants étaient souvent enterrés dans l'église - et que régulièrement, tous les 5 ans au minimum, on relevait les tombes.

Le 8 mai 1881, un membre du conseil rappelle qu'il avait été envisagé précédemment la translation du cimetière, celui-ci "devenant tout à fait insuffisant pour une population dont le nombre va toujours croissant." C'est le décret du 23 prairial an XII (12/06/1804) et l'ordonnance du 6 décembre 1843 qui règlent pour l'essentiel la question des cimetières qui doivent être situés à au moins 40 m de l'enceinte des bourgs, clos de murs d'au moins 2 m de haut et placés dans des terrains élevés, sains et si possible exposés au nord. En fait, selon les prescriptions alors en vigueur, le cimetière aurait pu être suffisant, mais l'achat de plus en plus fréquent de concessions, le temps qu'on veut laisser le plus long possible pour le respect des morts avant la reprise des emplacements et l'accroissement graduel de la population le rendront rapidement insuffisant. Pourtant en juillet, on avait décidé d'importantes réparations aux murs d'enceinte qu'il avait fallu relever en certains endroits et recrépir totalement. L'idée première était d'agrandir le cimetière existant en achetant un morceau de jardin du M. MANGIN (1200 à 1500 m2) au-dessous du chevet de l'église du côté de la campagne (1) mais on se rend compte que les propriétaires voisins, en application de l'article 2 du décret du 23 prairial an XII, pourraient légalement s'y opposer et en fin de compte, même avec cet agrandissement, le cimetière deviendrait vite insuffisant. Le 7 août 1881, le conseil décide donc la translation du cimetière à un emplacement "situé à une certaine distance de l'enceinte du bourg, sur une bonne route au nord du bourg à cause du vent de sud-ouest qui est le vent dominant et qui amène les pluies. Le cimetière nouveau devrait avoir une superficie approchant 6000 m2. Avec cette étendue, on pourrait tracer des allées, faire des plantations, diviser le terrain de façon à avoir des sections différentes pour les concessions de divers ordres et les fosses communes". Reste le coût: acquisition du terrain, appropriation à l'usage et construction des clôtures qui est estimé à 8000F. A terme, cette somme pourrait être couverte par la vente des concessions, mais comme il faudra qu'elle soit disponible tout de suite, il faut envisager une imposition extraordinaire.
Au sujet des concessions (3 m2), on compare ce qui se pratique dans quelques communes : de 50F le m2 à St Léon ou à Sorbier à 100F à Lurcy-Lévy (2) ou Buxières-les-Mines toujours pour un m2. Le conseil établit alors un long règlement sur les concessions futures dans le nouveau cimetière. L'un des 11 articles fixe les conditions des translations éventuelles de concessions de l'ancien au nouveau cimetière. Sous la présidence de M. LA COUTURE, maire, une commission, composée de MM. FOUCAUD, adjoint, LEVEILLE, BOUCHON et SADDE est chargée d'examiner les divers emplacements qui pourraient convenir pour en proposer un au choix du conseil.

A la séance suivante du 8 octobre (pas tout à fait car le conseil, convoqué pour le 2 octobre, n'était pas en nombre pour délibérer) la commission propose que "le nouveau champ des sépultures soit établi en tête du Champ Rouge, N°567, section A du cadastre dépendant du domaine des Carillons appartenant à M. D'AUBIGNEUX. (3) Ce que la commission demande, c'est que les limites partent du chemin I.C. 44 (4) et aboutissent à la haie du champ 570 sur une longueur moyenne de 75 à 80 m et qu'on prenne ensuite en façade de la route une longueur analogue. "Ce champ se termine par une pointe de terre occupée par des meules de paille. Elle est inutile pour la commune, mais celle-ci en ferait quand même l'acquisition dans le cas où le propriétaire ne voudrait pas la disjoindre de l'emplacement du cimetière (5). Il est décidé d'offrir une somme de 30F l'are soit à l'amiable si M. D'AUBIGNEUX accepte, soit par une expropriation.
Par lettres du 16 octobre et du 4 novembre, M. SOUCHON D'AUBIGNEUX refuse formellement cette offre de 30F l'are qu'il considère comme dérisoire et préfère l'expropriation si on ne lui fait pas d'offre plus avantageuse. Le conseil, considérant que cette offre est même au-dessus de sa valeur réelle, s'en remet à la sagesse du jury d'expropriation et charge le Maire de procéder aux longues formalités qu' entraîne l'expropriation publique.

Le 12 mars 1882, le conseil examine les plans et devis dressés par M. CHERION, instituteur. Après discussion et modifications, le cimetière aura la forme d'un rectangle parfait de 84 m de long sur 75 m de façade, ce qui lui donnera une surface de 63 ares. Le 2 avril suivant, le financement du projet est établi. Le montant du devis (achat et construction du mur de clôture) se monte à 7826,35 F, non compris le transport des matériaux ; un emprunt de 10000 F sera contracté auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations pour une durée de 15 ans à partir du 1er janvier 1883. Chaque annuité représente un impôt extraordinaire de 11,5 centimes additionnels au principal des 4 contributions directes, "sacrifice" accepté par le conseil auquel s'étaient joints les 22 propriétaires les plus imposés de la commune (6).

Pendant ce temps, se déroule une bataille d'experts pour déterminer la valeur du terrain. Le 24 août, suivant les conclusions d'un premier expert, le conseil maintient son offre à 30 F l'are, offre toujours refusée par le propriétaire. Le 1er octobre, suite à une 2ème expertise, le Préfet demande au conseil d'accepter le prix de 40 F l'are, ce que le conseil refuse par 5 voix contre 3. Un mois plus tard, le sieur Jean CHAUVAT procède à une nouvelle expertise et revient au prix de 30 F l'are, toujours refusé par M. D'AUBIGNEUX. Le conseil prie donc Monsieur le Préfet de presser l'expropriation. (7)

Lors de l'adjudication des travaux, il était laissé à l'entrepreneur toute liberté "pour fournir les moellons de n'importe quelle carrière de Bourbon l'Archambault et la cendre de chaux proviendra de St Menoux, d'Agonges ou de Pouzy-Mésangy pourvu qu'elle soit de bonne qualité" .Le 14 août 1883, le détail des dépenses est ainsi donné : acquisition du terrain: 1971 F, frais : 250 F, travaux de clôture : 7826,95 F soit un total de 10047,95 F. L'emprunt est donc insuffisant mais la différence - minime - sera prise sur les ressources disponibles. Le 31 août 1883, le conseil se trouve confronté à un autre problème. A la date où il discutait avec les plus imposés sur les conditions de remboursement de l'emprunt, la Caisse des Dépôts et Consignations octroyait ses prêts au taux de 4% - ce qui correspondait à un remboursement annuel de 912 F - mais au moment de contracter , le taux est passé à 4,25%, ce qui entraîne une augmentation de près de 4 F de chaque annuité, somme non couverte par les centimes additionnels mis en recouvrement. Il faudra prendre ce surplus sur les ressources ordinaires de la commune.

Le 25 février 1883, le conseil décide que le conduit d'assainissement du nouveau cimetière sera établi en pierres de Franchesse, posées au fond de la tranchée de 2,20 m de profondeur plutôt qu'en tuyaux de terre cuite, ce qui augmente le devis de 128,85 F mais l'adjudication a laissé une moins-value de 666,62 F, le sieur Jean PICHELINGUAT, entrepreneur à Pouzy, adjudicataire des travaux de clôture ayant consenti un rabais de 9%.
Le 10 août 1884, le tarif des concessions est ainsi fixé :
1ère classe : concessions perpétuelles, 50 F par mètre de terrain occupé
2ème classe : concessions trentenaires, indéfiniment renouvelables, 30 F le mètre
3ème classe : concessions temporaires de 15 ans non renouvelables, 15 F le mètre
Le règlement est revu et adopté le 30 novembre.

Ce nouveau cimetière est solennellement béni le 20 juillet 1884 par M. le chanoine DESROSIERES, curé - doyen de Bourbon l'Archambault "avec un grand concours de fidèles" nous précise le curé SOULIER. A sa demande, le conseil accepte qu'une concession à perpétuité soit accordée gratuitement autour de la croix à l'abbé GRENEYROUX, ancien curé de Franchesse pendant 37 ans, et il décide que le tumulus entourant cette croix sera réservé à la sépulture des curés mourant dans la commune. Le curé SOULIER y est lui-même enterré.

Après la grande guerre, un monument aux morts sera édifié et en 1931, on construira un caveau communal destiné aux sépultures provisoires en attente.

(1) C'est le jardin appartenant en partie à M. GUYONNET.
(2) Ce n'est qu'aux environs de 1970 que la municipalité de Lurcy a décidé qu'on écrirait "Lévis".
(3) D'où le titre de cet article. Dans mon enfance, j'entendais les anciens parler aussi souvent du Champ Rouge que du "s'mitière".
(4) Aujourd'hui départementale 144 vers Champroux et Lurcy.
(5) C'est vraisemblablement le jardin appartenant à M. PERRIN.
(6) En ce temps-là, il n'y avait pas de budget d'investissement comme maintenant. Chaque projet nouveau était financé par un certain nombre de centimes qui s'additionnaient à chaque franc d'impôt payé. Les contribuables les plus imposés de la commune participaient alors à la séance du conseil municipal qui décidait de ce financement (pour ce point de l'ordre du jour, ils se retiraient ensuite).
(7) La revente d'un excédent, devenu inutile après l'implantation du cimetière en 1885, laisse penser que la commune a payé le terrain 42 F l'are, y compris les frais d'expropriation.

André DESPRET